souveraineté alimentaire en France

Agriculture : la souveraineté alimentaire n’existera pas sans un fort renouvellement générationnel

Tribune d'expert

Sur toutes les lèvres depuis la période du Covid et plus encore avec la guerre en Ukraine, la souveraineté alimentaire est un vaste chantier complexe mais à la portée de l’agriculture française. Pour espérer y parvenir, il faudra surmonter nombres d’obstacles en mettant l’accent sur le renouvellement générationnel, clé de voute de la pérennité du secteur.

La haute couture de l’alimentation

En abordant le concept de souveraineté alimentaire, il est important de dissiper toute confusion : cela n’implique pas l’autarcie. La souveraineté alimentaire se fonde sur l’autonomie tout en maintenant des liens avec l’extérieur. Elle vise avant tout à réduire la dépendance vis-à-vis des importations, sans pour autant négliger les exportations. Dans cette perspective, il est primordial d’instaurer une organisation alimentaire de haute qualité et sécurisée. Cependant, les coûts élevés de production en France, notamment en période d’inflation, peuvent dissuader les consommateurs de privilégier ces produits.

De manière analogue, notre secteur agricole peut être assimilé à une forme de haute couture alimentaire, s’éloignant ainsi de sa mission première qui consiste à nourrir la population. Outre les considérations économiques omniprésentes, la souveraineté alimentaire soulève la question de l’appréciation de notre agriculture. Les agriculteurs et leurs activités ne reçoivent pas la reconnaissance qu’ils méritent. L’orientation vers la rentabilité immédiate risque de brader nos traditions, notre savoir-faire et les personnes qui les incarnent. Les efforts pour réaliser des économies d’échelle par le biais de la centralisation pourraient compromettre l’objectif de souveraineté alimentaire. Une étude de FranceAgriMer de 2023 suggère même une légère régression de 3 % au cours de la dernière décennie. Bien que cela ne soit pas alarmant, cela souligne la nécessité d’agir, étant donné que notre nation dispose des ressources nécessaires pour atteindre cet objectif.

Au-delà des aspects économiques, la souveraineté alimentaire interroge également l’engagement envers notre agriculture. Nos autorités et la société en général doivent réévaluer leur perception de ce secteur. Il est crucial de noter que cette démarche ne remet pas en question la qualité de notre production agricole, mais plutôt l’approche adoptée par les pouvoirs publics et la société dans son ensemble.

Sortir du romantisme ambiant pour séduire à nouveau

Les Français aiment nos agriculteurs, c’est certain. Mais ils aiment surtout l’image d’Épinal qui leur est souvent attribuée : celle de l’agriculteur du coin, détenteur du savoir-faire qui fait la fierté d’un terroir et d’un pays.

Mais si l’image est belle, la réalité l’est moins. Il ne faut certes pas renier notre héritage agricole mais pour avancer il est temps de se détacher de cette vision romantique de l’agriculture française. Les nombreux cas de suicide touchant les éleveurs ont été, et sont encore, le signe d’une grande souffrance dans nombre de métiers. Entre les conditions de travail difficiles, les bas salaires et le manque de soutien, la réalité du terrain peut impressionner voire décourager les jeunes générations à succéder à leurs aînés.

Le renouvellement générationnel est sans aucun doute une réelle préoccupation pour tous les acteurs du secteur mais nous avons le choix de montrer une autre facette de notre agriculture, une qui a profondément évolué sur ces dernières décennies. Le monde agricole s’est pluralisé, modernisé, technicisé et a vu émerger de nombreux autres métiers devenus essentiels. En 2023, un chef d’entreprise agricole représente à lui seul près de 70 métiers ! Une montée en compétence à laquelle s’ajoute une évolution organisationnelle qui pousse les agriculteurs à s’associer pour mieux préserver leur savoir-faire et leurs emplois, à l’image des GAEC (Groupe Agricole d’Exploitation en Commun), pour ne citer qu’eux. En plus d’offrir de belles perspectives professionnelles, ces groupements accordent également plus de place à la vie sociale. Un argument de poids pour la jeune génération.

Souveraineté alimentaire en agriculture : l’innovation et la formation comme solutions

Au-delà des discours d’intention, il nous faut vite agir auprès des jeunes en concentrant nos efforts sur la formation et leur professionnalisation. Montrer la réalité des différents métiers en immersion et grâce à des témoignages est un prérequis pour les orienter de la bonne façon. Il faut mettre en valeur cette mission en conditionnant, notamment, l’aide à l’apprentissage à une obligation de moyens pour les maîtres d’apprentissage. On valorise ainsi l’acte pédagogique, pour mieux former l’apprenti.

Il y a tant à découvrir pour des jeunes qui ont en eux la capacité de réinventer notre agriculture. L’évolution des métiers agricoles implique aujourd’hui plus de spécialités et donc l’intégration de champs de compétences plus vastes. Du conducteur d’engin au spécialiste informatique, à l’agronome en passant par de la cartographie satellitaire ou du pilotage de drone, l’agriculture peut être attractive si on lui laisse l’opportunité de l’être. Sans oublier l’enjeu écologique qui change peu à peu nos pratiques et guidera l’action des prochaines générations. C’est en responsabilisant la relève et en l’accompagnant au maximum que l’agriculture française pourra relever les grands défis qui l’attendent.

Laurent Paillat, président de l’ANEFA